À propos
Introduction aux minorités
Qu’est-ce qu’une minorité ? A partir de quand et selon quelles modalités une partie de la population d’un pays est-elle désignée par ce terme ? Est-ce du fait de sa faible importance numérique par rapport à ce que l’on considère être une majorité ? Une minorité est-elle toujours minorée dans le récit national ? Par quels biais cognitifs et quelles pratiques du pouvoir est-elle rendue invisible aux yeux du plus grand nombre ?
On comprendra la difficulté qu’il y a à définir une minorité quand on rappellera, qu’en Tunisie, la minorité amazighe représente une majorité anthropologique, le substrat même de la population tunisienne. Les royaumes numides de l’Antiquité furent des royaumes berbères et l’Ifriqiya médiévale fut à maintes reprises gouvernée par des dynasties amazighes. Jusqu’aux invasion hilaliennes du XIe siècle, la Tunisie fut une terre rapidement islamisée mais lentement arabisée. Jusqu’à l’époque contemporaine, les langues dites berbères ont continué d’être couramment parlées par une partie non négligeable de la population. Aujourd’hui pourtant, le tamazight n’est plus usité que par quelques milliers d’individus et, dans leur immense majorité, les Tunisiens se considèrent comme des Arabes même si, sans toujours qu’ils le sachent, leur vécu est pétri de cette ancestrale berbérité. Et quand Habib Bourguiba, le premier président de la Tunisie indépendante, a fait de la construction de l’Etat national sa priorité, il a sciemment marginalisé tout ce qui pouvait apparaître comme un obstacle à son unité.
D’autres minorités, telles les minorités autochtones juive, chrétienne et noire ont été plus ou moins exclues du consensus majoritaire.
Le Maghreb fut majoritairement chrétien jusqu’à ce que l’islam vienne supplanter cette deuxième version du monothéisme et devienne une religion, un mode de vie, un habitus culturel très largement hégémonique. Si les chrétiens autochtones ont disparu du paysage religieux à partir de l’époque almohade, au XIIe siècle, la minorité juive a survécu. Elle a recouvré une certaine importance numérique à partir du XVIe siècle avec l’arrivée de coreligionnaires andalous chassés d’Espagne.
Le statut de dhimmi qu’a accordé le droit musulman aux chrétiens et aux juifs a fait juridiquement des juifs une minorité ayant l’autorisation de pratiquer son culte et de régir ses affaires privées selon ses propres lois, moyennant paiement d’un impôt spécifique. Le Pacte fondamental (1857), a fait d’eux des égaux en droit. Mais la jouissance des mêmes droits n’a pas fait des juifs autochtones une composante de plein exercice de la communauté nationale en voie de formation à partir du XIXe siècle. La présence d’une communauté juive allogène, les Grana venus du duché de Toscane, et la francisation d’un grand nombre d’entre eux à partir de l’époque coloniale, a aggravé la fracture les séparant de la majorité de la population caractérisée par un puissant sentiment d’appartenance à l’arabité et à l’islam. Le départ progressif des juifs à partir des années 1950 et surtout après 1967 a réduit considérablement leur présence physique. Cet effacement du paysage a été renforcé par le silence de l’histoire officielle sur l’ancienneté de leur ancrage en Tunisie.
La population noire a été pour sa part marginalisée pour d’autres raisons. Une bonne dizaine de siècles de traite esclavagiste a fait considérer les populations subsahariennes comme des sous-humains et une solide négrophobie s’est installée de ce fait dans tout le Maghreb, y compris en Tunisie malgré la fierté que tirent ses citoyens de la précoce abolition de l’esclavage en 1846. Mais, là encore, si les Tunisiens noirs deviennent juridiquement libres, le poids des préjugés a été plus fort que le droit. Pourtant, cette minorité totalement islamisée, même si perdurent en son sein des coutumes et des pratiques d’origine animiste, a marqué de son empreinte la société tunisienne, en matière religieuse comme dans le domaine musical et culinaire.
D’autres minorités, numériquement beaucoup moins significatives, sont restées cantonnées à une portion du territoire, comme la minorité ibadite, une des branches du kharijisme, à Djerba.
A côté d’elles, il faut mentionner les minorités allogènes. La plus importante démographiquement a été celle des Italiens. L’immigration italienne, essentiellement de Siciliens et de Sardes, massive à partir du milieu du XIXe siècle, a été une immigration presqu’exclusivement prolétaire. Proches des couches populaires tunisiennes de par leurs origines sociales, les Italiens ont laissé à la Tunisie une empreinte linguistique, culinaire, professionnelle. Les Maltais arrivent ensuite, venus comme les Italiens chercher une vie meilleure vers cette Tunisie qui fit un temps figure d’eldorado pour les habitants de cette petite île déshéritée. De fait, on ne peut compter ceux qui y ont trouvé refuge, sans toujours laisser de traces du fait de leur faible nombre, comme des Grecs, des Russes venus avec les débris de la flotte tsariste, des républicains espagnols.
On ne saurait terminer ce bref tableau, sans mentionner ce qu’on pourrait nommer les minorités dominantes qui, du fait de leur position au sommet du pouvoir, ont également profondément marqué la société, la culture tunisiennes et les pratiques politiques. Avant les Français, il faut mentionner les Turcs puisque la Tunisie fut pendant quelque quatre siècles une province ottomane. Avec eux, ils ont drainé les mamelouks, originaires pour la plupart des provinces balkaniques et caucasiennes de l’empire, qui se sont fondus dans la population. Enfin, sont venus les Français en conquérants, en occupants, en administrateurs. Ils ne sont restés en Tunisie que 75 ans mais, à l’instar des autres impérialismes européens, ils y ont exercé une influence profonde et durable dans tous les domaines, qui se vérifie jusqu’à nos jours.
La Tunisie est ainsi composée de couches plus ou moins épaisses qui ont toutes contribué à faire de ce pays ce qu’il est aujourd’hui. Arabe et musulmane, la Tunisie l’est sans aucun doute. Mais elle est aussi autre chose et c’est cet autre chose que le Musée de la pluralité culturelle tunisienne (MPCT) veut rendre à la mémoire collective afin de faire en sorte que ses citoyens ne restent pas amputés d’une partie de ce qu’ils sont.
Association Nous tous
La nation tunisienne s’est construite, au lendemain de l’indépendance, sur l’exclusion des minorités, essentiellement juive et berbère, mais aussi noire et ibadite. S’il est vrai, que l’histoire, telle qu’elle est enseignée aujourd’hui, valorise l’expansion arabe et musulmane en Tunisie et s’y réfère exclusivement, faisant fi de l’histoire méconnue du pays, de sa singularité et de sa diversité ethnique et religieuse, il est aussi incontestable que des essais, des articles, des romans, des expositions, des films, des séries télévisées tentent d’exhumer des époques et des personnalités longtemps oubliées.
Le champ du débat est désormais ouvert. Il est donc temps d’entreprendre une relecture de notre histoire pour en finir avec le mythe de l’unité culturelle, ethnique et religieuse, de restaurer sa diversité, et faire découvrir aux jeunes générations que les Tunisiens ne sont pas seulement musulmans -sunnites ou ibadites, de rite malékite ou hanafite- mais juifs aussi, et que Maltais ou Siciliens ont largement participé à l’édification du pays.
Soucieuse d’ouvrir la voie à la réécriture de l’histoire et d’offrir un instrument pédagogique aux écoles, aux universités, aux jeunes de Tunisie et d’ailleurs, l’Association Nous tous, dont l’objectif principal est la sauvegarde de la mémoire et des patrimoines des minorités de Tunisie, a créé un musée en ligne, le Musée de la pluralité culturelle tunisienne (MPCT).
L’association Nous tous s’est fixé par ailleurs l’objectif de parachever le recensement des patrimoines des minorités, tels que les documents écrits publiés ou inédits qui sont stockés aux Archives nationales et à la Bibliothèque nationale comme les travaux de recherche consacrés aux communautés tunisienne berbère, juive, noire, ibadite, italienne, maltaise et autres, les productions iconographiques (cartes postales, affiches, enseignes commerciales et autres) artisanales, artistiques, architecturales, cinématographiques et ethnologiques (vêtements, objets de culte, recettes, etc.) ; d’établir des bibliographies mais aussi des catalogues des divers documents, œuvres et objets recensés, d’organiser des expositions et des conférences qui permettront à l’association de valoriser les minorités de Tunisie et de publier des textes inédits.
Bureau de l’association
Rabâa Ben Achour-AbdelkéfiPrésidente |
Afef MbarekSecrétaire générale |
Khédija ChérifTrésorière |
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Kmar BendanaMembre |
Hechmi Ben FrejMembre |
Walid LarbiMembre |
Silvia FinziMembre |
Chercheurs et équipe de travail
Muséographe |
Soumaya Gharsallah |
Comité de pilotage |
Afef MbarekElsa DespineyGilda SpizzichinoJeanne ValensiKmar BendanaRabâa Ben Achour-Abdelkéfi |
Contributeurs scientifiques | |
Histoire générale de la Tunisie |
Leïla SébaïSophie Bessis |
Patrimoine berbère |
Abdelhamid LarguècheNeila Saadi |
Patrimoine juif |
Abdelhamid LarguècheAfef Ben MbarekHabib KazdaghliFakher RouissiFaten Bouchrara |
Patrimoine des Noirs |
Abdelhamid LarguècheAmel FarjiSaoussen Nighaoui |
Patrimoine Européen |
Jamel LaouiniRym Lajmi, doctoranteSilvia Finzi |
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